J'ai mis beaucoup de temps à me mettre en colère et à assumer cette émotion.
Je pense que ça m'a pris des années et quand j'ai commencé à comprendre que j'avais cette émotion en moi et qu'elle n'était pas si inintéressante ou si délétère mais qu'elle pouvait au contraire être un moteur pour lutter contre des frustrations, parfois de la tristesse, des questionnements, que c'était un moteur vital, une énergie créatrice, alors je me suis dit qu'il fallait absolument enquêter sur la colère en général, celle des autres, et montrer ce potentiel énergique.
Pourquoi cette émotion tout de même noble et indispensable est ainsi discréditée, méprisée, rejetée ?
Elle l'est aussi bien dans la philosophie, dans les religions, mais aussi finalement, dans notre espace médiatique et social.
Elle cause beaucoup d'embarras quand on la voit affichée dans toute sa pureté et parfois son agressivité à la télévision, dans la rue ou dans une scène intime.
Un ami qui se mettrait en colère fait immédiatement peur mais mal à l'aise.
Je me suis demandé pourquoi.
Et c'est vrai que j'ai mené l'enquête aux racines de la philosophie occidentale dans le rationalisme porté par Socrate, Platon ou encore les stoïciens.
Et pour eux, en effet, la colère est une émotion qui peut avoir parfois sa place mais qui doit être très solidement tenue, éclairée et cadrée par la raison, voire chez le stoïcien et tout de même, pour Sénèque notamment, une émotion assez hideuse, effrayante et qui doit tout simplement être neutralisée.
Je pense qu'il y a là un discrédit jeté sur le corps, et ça c'est un parti pris idéologique en philosophie, qui considère que tout ce qui vient de la chair ne pense pas.